Les dérives du bio business : le cas de la farine

 

 

Dumping ? Vente à perte ? Monocultures bio intensives et productivistes ? Pourquoi la farine bio des grandes surfaces est-elle si peu chère ?Un citoyen Seine-et-Marnais a enquêté. Comment les grandes enseignes parviennent-elles à vendre si peu cher leur farine bio (83 centimes d’euros le kilo chez Lidl par exemple) ?

Article paru dans le journal de l'AMPAP l'Aneth

 

Gilles Derosin, paysan à Dormelles, en Sud Seine et Marne, à la tête d’une ferme familiale en polyculture et élevage, converti à l’agriculture biologique en 2004, soutient, de son côté, qu’il ne peut pas descendre son prix de vente en grande quantité à moins de 1,50 euros, sous peine de perdre de l’argent. Pour dégager une marge et pouvoir vivre de son travail, il commercialise à 2 euros le sac de 1 kilo de farine bio.

 

Comment des prix aussi bas sont-ils possibles ?

 

« Si des grandes surfaces y parviennent, ne serait-ce pas parce qu’elles vendent après extraction du germe de blé, un sous-produit recomposé ? », s’interroge Dominique Laurette, citoyen Seine-et-Marnais engagé et militant de longue date en faveur de l’agriculture biologique, qui a enquêté sur le sujet.

 

Il a découvert que certaines farines, commercialisées par des grandes surfaces, sont en fait le résidu de l’extraction des germes de blé. Le germe de blé est en effet bien mieux valorisé que la farine. Et le sous-produit, ce déchet, est retravaillé et vendu comme « farine de blé », qui elle, ne contient pas de germe de blé pourtant très nutritif !

 

Ces éléments lui ont été confirmés par Gilles Matignon, meunier à Château-Landon, qui commercialise une large gamme de farines (blé, épeautre, seigle, avoine, maïs, petit épeautre, sarrasin) en bio et en agriculture conventionnelle. Les Matignon sont artisans meuniers en Sud Seine-et-Marne depuis quatre générations.

 

https://magazine.laruchequiditoui.fr/artisanal-et-resilient-le-moulin-astrie/

 

Une bio industrielle

 

« Il est en effet tout à fait possible d’extraire le germe de blé pour obtenir de la farine à partir de ce résidu. Mais, c’est du vol ! » s’insurge le meunier qui confirme que les prix très faibles pratiqués par ces enseignes ne peuvent s’expliquer que par de telles dérives.

 

Le coût de fabrication de ses farines étant supérieur au prix de vente de ces grandes enseignes, Gilles Matignon est lui aussi obligé de vendre nettement plus cher que ces dernières pour s’en sortir.

 

Le hic vient du fait que ces dérives restent conformes à la réglementation européenne du label AB qui n’impose pas de limite à de telles pratiques. Cette dénaturation de la bio a été rendue possible par les Communautés européennes qui ont fait évoluer la réglementation sous la pression des lobbyistes, dénonce Philippe Baqué. « En 2007, la Commission européenne a nettement diminué les exigences du cahier des charges et interdit aux états membres de maintenir des cahiers plus rigoureux que le sien. Le cas des 0,9% de résidus d’OGM, désormais tolérés dans les produits bio, illustre parfaitement cette dérive. Cette nouvelle réglementation se basant essentiellement sur des principes techniques a encouragé le développement tous azimuts d’une bio industrielle », raconte ce journaliste qui a coordonné une enquête internationale dont les résultats ont été publiés, en 2012, dans son livre « la Bio entre business et société ».

 

Pour aller plus loin :La Bio entre business et projet de société, sous la direction de Philippe Baqué (Contre-Feux. Agone, 2012)